Est-ce un fâcheux oubli ? Ou le témoin d’une soudaine prise de conscience devant l’indécence de confier la responsabilité d’un tel dossier à Bruno Retailleau ? Entre ses deux nominations dans les gouvernements Barnier puis Bayrou, le ministre de l’Intérieur a perdu l’une de ses attributions.
D’après un décret présidentiel du 10 octobre 2024, il était chargé de la lutte « contre les discriminations en raison des orientations sexuelles et des identités de genre, ainsi qu’à l’égard des personnes intersexuées ». Trois mois plus tard, dans un autre décret daté du 8 janvier 2025, la mention a disparu des missions du ministre, qui déclarait que l’identité de genre était « une notion floue venue des États-Unis » et qu’il s’agissait d’un « ressenti ».
Une droite qui « n’a pas abandonné ses vieux démons »
Nouvellement élevé au rang de ministre d’État, Bruno Retailleau n’a donc plus à se soucier de la protection des personnes LGBTQIA +. Une question qui, de toute façon, n’a jamais été le sujet du conservateur vendéen, ni celui de son camp, la droite. Et ce, bien que celle-ci s’apprête à voter, mardi 6 mai au Sénat, pour une proposition de loi du sénateur PS Hussein Bourgi sur la reconnaissance par la nation et la réparation des préjudices subis par les personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982. D’ailleurs, même là, le sénateur LR, Francis Szpiner, trouve à redire, refusant d’indemniser les victimes : « Je suis contre la réparation pécuniaire, mais pour la réparation symbolique », affirmait-il fin 2023.
Contrairement aux apparences, la droite n’est pas pour autant devenue l’amie des personnes homosexuelles. « Elle n’a pas abandonné ses vieux démons, assure le sénateur PCF Ian Brossat. Il faut se rappeler que si ces législations se sont appliquées, c’est parce qu’il y a eu des parlementaires, notamment de droite, pour les voter. »
« Dans l’histoire, la droite a toujours été contre l’ouverture de nouveaux droits. Pour eux, les homosexuels ont d’abord été un « fléau social » puis des « sidaïques », et maintenant ils sont des « wokistes ». Soit l’épouvantail qu’ils agitent pour éviter des avancées », dénonce Tarik, membre des Inverti·e·s, collectif communiste « trans, pédés, gouines ». Et nul besoin d’en revenir aux débats sur le Pacs, que seule Roselyne Bachelot défendait au sein de sa famille politique, pour trouver trace des relents homophobes de la droite.
Ni même aux déclarations d’il y a douze ans, de tous les cadres ou presque de l’UMP, au moment de l’adoption du mariage pour tous. Opposant invétéré au mariage homosexuel, Bruno Retailleau se contente aujourd’hui de dire qu’il a « ses convictions », histoire de faire comprendre que s’il ne remet plus en cause l’union entre deux personnes de même sexe, il n’en pense pas moins.
« Plus difficile d’être ouvertement homophobe »
Michel Barnier, alors premier ministre, n’avait pas vu de problème à nommer au gouvernement la sénatrice Laurence Garnier, laquelle s’était opposée à l’interdiction des « thérapies de conversion » qui prétendent « guérir » les personnes homosexuelles, bisexuelles ou lesbiennes en les « convertissant » à l’hétérosexualité. Rachida Dati s’était abstenue sur un texte similaire au Parlement européen.
Les exemples sont légion, à l’instar de ces parlementaires qui ont refusé d’ouvrir la procréation médicalement assistée (PMA) aux personnes de même sexe, au nom de la « défense de la famille ». Ou de Christophe Béchu, ex-ministre et maire Horizons d’Angers (Maine-et-Loire) qui avait fait retirer, en 2016, une campagne de prévention sur le VIH mettant en scène un couple homosexuel, au prétexte de « protéger les enfants les plus jeunes ».
Mais l’offensive est plus insidieuse aujourd’hui et migre vers la transphobie. « Il leur est plus difficile d’être ouvertement homophobes, car nous avons lutté pour nos droits. Maintenant, droite et extrême droite nous instrumentalisent pour leur délire de prétendu choc de civilisations, face à un Orient “barbare” où les LBGT n’existeraient pas. Ils oublient qu’ici, on a lutté contre eux », rappelle Tarik.
Mais « la droite utilise désormais la même rhétorique contre les personnes trans ». Ian Brossat observe cette dérive « anti-woke » depuis un Sénat en pleine « CNews-isation », où avait été proposée une loi pour encadrer, voire empêcher les transitions de genre chez les mineurs. « Sans parler du terrain de l’éducation sexuelle, avec tous les fantasmes sur la question du genre, accusée de “créer” de l’homosexualité et de la transidentité », relève l’élu communiste. Si la droite a été forcée de progresser, elle reste donc frappée par cette même panique morale qu’un léger ripolinage ne suffit à faire oublier.
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