Le message est tombé le 11 février. Comminatoire, son titre ne souffre aucune discussion : « Mobilisation générale ». Et les lignes qui suivent sont à l’avenant : « Le 16 février, la Jeune Garde organise un événement à Strasbourg-Saint-Denis, il faudrait que vous soyez disponibles de 15 heures jusqu’en début de soirée », ordonne, sous le pseudonyme « Vicompte », un chef des Hussards Paris, le groupuscule néonazi qui a repris le flambeau des Zouaves et du GUD après leur dissolution.
« Le but est de fumer l’équipe type ou des mecs isolés après leur conf de merde. Je compte sur votre présence. J’attends vos excuses en message privé si vous êtes absent. Même principe que d’habitude : pouce en haut, présent ; pouce en bas, absent. »
Le résultat de cette opération préméditée : un jeune antifasciste roué de coups
Sur ce groupe privé baptisé « 16/02 » et rassemblant au moins 21 nervis, les pouces se sont levés en masse, et l’administrateur donne les ultimes consignes à la veille du rendez-vous : « Pas d’armes et de trucs de gogols, parapluies si vous voulez. »
Quand un des participants s’étonne de ne pas avoir trouvé de trace d’un « événement de la Jeune Garde » – cette organisation antifasciste désormais sous le coup d’une procédure de dissolution engagée par le ministre de l’Intérieur –, le même lui donne les détails par message vocal.
Et l’autre répond : « Ah ouais, OK, c’est sûr qu’ils seront là. La dernière fois que j’ai vu passer une manif kurde, il y avait la Jeune Garde. » Signe qu’il a bien compris la cible, le gars ajoute en guise de plaisanterie : « Je vais amener un drapeau turc. »
Le résultat de cette opération préméditée, tout le monde a pu le voir sur deux vidéos enregistrées, le 16 février, vers 17 heures, par des voisins de l’Association culturelle des travailleurs immigrés de Turquie (Actit), rue d’Hauteville, dans le quartier de Strasbourg-Saint-Denis, à Paris. Au beau milieu d’une projection de Z de Costa-Gavras, organisée sur place par le mouvement Young Struggle, la réalité dépasse la fiction.
Dans la première séquence, Paul, un jeune antifasciste tombé au sol dans la cour de l’immeuble après avoir été frappé avec un casque, se fait rouer de coups de pied et de poing par une quinzaine d’hommes, visages dissimulés ; le jeune homme sera également blessé avec des tessons de verre. Sur la seconde vidéo, entre 25 et 30 individus s’enfuient précipitamment dans la rue, et deux d’entre eux hurlent une signature on ne peut plus explicite : « Paris est nazi », « Lyon est nazi aussi ».
Sur le moment, six des sbires néofascistes sont interpellés dans le métro. Ils sont plutôt jeunes – entre 18 et 24 ans et considérés comme des « prospects », des sympathisants devant encore faire leurs preuves. « C’est un peu l’antichambre des Hussards, admet Alexandre H. Les Hussards sont là pour tester les prospects en termes d’implication, de concentration, d’absence de peur, s’ils sont présents. »
Dans le groupe, la panique gagne : « Tchoupi est en garde à vue, il faut effacer les conversations avec lui », appelle l’un des membres. Le meneur donne la consigne : « Si vous avez des doutes sur l’un des mecs en garde à vue, envoyez-moi un message privé. »
Armes et drapeaux nazis
Devant la violence de l’attaque, ils sont entendus pour « tentative de meurtre ». À l’issue des gardes à vue, en dépit de leurs dénégations (« Je ne suis pas un dur à cuire, j’ai juste été spectateur ») ou explications vaseuses (« Il s’agissait juste de faire un coup média pour la promo sur les réseaux sociaux »), tous seront mis en examen pour « violences aggravées avec arme, en réunion et avec préméditation » et pour « participation à un groupement formé en vue de la préparation de violences ». Cinq seront remis en liberté, et le dernier placé en détention provisoire. Aujourd’hui, les investigations se poursuivent, notamment via une commission rogatoire.
Au lendemain du défilé organisé chaque année dans la capitale par les néonazis du Comité du 9-Mai (C9M), les éléments que révèle aujourd’hui l’Humanité permettent d’arracher les cagoules… Et de plonger au cœur d’une organisation centrale dans l’extrême droite radicale. Chez l’un des interpellés, les enquêteurs trouvent un cache-cou avec le sigle C9M ainsi qu’un autocollant de l’édition 2024, avec une statue antique brandissant un glaive.
Sur le téléphone d’un autre, une photo de groupe derrière un drapeau frappé d’une croix celtique, prise l’an dernier aussi. Le lien est établi explicitement par « Vicompte » dans son appel à l’attaque contre les antifascistes le 16 février : le chef insiste sur la présence de tous, car « déjà cinq » militants seront « en déplacement en Allemagne ce week-end-là pour préparer le terrain pour le C9M ».
Armes, bibelots de la Waffen-SS, antisémitisme et racisme… Derrière la candeur affichée devant la police et la justice, c’est tout un arsenal de matériels dangereux et d’idées nauséabondes qui apparaît au grand jour. Au cours des perquisitions, en particulier chez Lucas W. et Alexis L., on trouve une matraque télescopique, des poignards et des couteaux, des poings américains, des gazeuses, trois mallettes devant contenir des pistolets à blanc – dont deux sont vides. Par texto, les intéressés s’échangent, pour certains, des images de séances de tir.
La veille de l’attaque contre Young Struggle, le 15 février, Louis T. prend un cliché d’une table basse avec un revolver posé au milieu des bouteilles. La plupart des militants interpellés fréquentent, par ailleurs, des clubs de sports de combat plus ou moins officiels.
Signe d’une intégration forte dans la mouvance d’extrême droite radicale : dans un échange avec l’un d’eux, il est question de donner son nom au « gérant du GUD » pour pouvoir participer à un « active club », ces fight clubs nationalistes où, comme le dira un des jeunes nazillons, on est « entre potes » pour des « petites bagarres amicales ».
Dans les objets saisis par les enquêteurs, de spectaculaires « collections » de drapeaux hitlériens : un « soleil noir » – un symbole païen très populaire chez les SS –, un drapeau de la division Charlemagne – « des Français qui se sont battus aux côtés des nazis contre le bolchevisme », détaille l’un des prospects –, des bannières esclavagistes des États-Unis, etc. Puis des affiches, des autocollants et sur les téléphones, des abonnements aux canaux de toute la mouvance ainsi que des échanges de mèmes – ces images à vocation satirique – plus racistes et malodorants les uns que les autres.
Tout ça n’est pas que du folklore, évidemment. Alexis L. se filme en faisant un salut nazi ; sur une autre photo, il porte un tee-shirt qui affiche un clin d’œil un peu crypté, mais clairement antisémite. Interrogé sur le cache-cou du GUD trouvé dans ses affaires, Martin B., le plus vieux des interpellés, dit l’utiliser pour « faire du VTT », après l’avoir acheté lors d’un concert parce que « c’est un peu les bad boys de la droite ». « Je n’ai pas de contact avec ces gens-là, jure-t-il. Je sais qu’ils tolèrent la Shoah, ce sont des antisémites notoires. Moi tuer des enfants, ça ne fait pas partie de mon idéologie. »
Dans ses appareils électroniques, les enquêteurs trouvent une photo d’un nazi humiliant une femme juive ou une cartographie de la « population noire » en Europe. Un autre qui pose avec une arme et un drapeau de Daech explique qu’il fait « le signe des djihadistes, mais c’est pour rire ». Relancé sur le fait qu’il dit aimer écouter des nasheeds – ces chants traditionnels musulmans transformés parfois en appel au djihad –, il ajoute, en esthète : « Je ne sais pas de quoi ça parle, mais c’est une très belle langue. »
Mais derrière ces réponses aux enquêteurs, les antécédents s’expriment haut et fort. Au-delà des individus interpellés, un des membres du groupe « 16/2 » paraît sous une identité renvoyant à un néonazi de Lyon Populaire. Dans le passé, et même si leurs casiers judiciaires sont vierges, tous les membres des Hussards identifiés jusque-là sont connus de la police et de la justice. Alexandre H. a été condamné à un « stage de citoyenneté » pour avoir participé à une descente ultraviolente dans un lycée du 3e arrondissement de Paris en 2023.
Lucas F. et Martin B. ont été interpellés avec 37 autres militants, en marge d’un hommage sur la tombe de l’écrivain collaborationniste Robert Brasillach. Avec eux, il y avait les deux gros bonnets des groupes successifs Zouaves, GUD et Hussards, Marc de Caqueray-Valménier – multicondamné pour violences, toujours à la tête du C9M et aujourd’hui, comme l’a révélé la Lettre, vigile sur l’île privée de Vincent Bolloré aux larges de la Bretagne – et Gabriel Loustau – fils d’un des chefs de la GUD Connexion –, condamné pour une attaque homophobe perpétrée le soir de la victoire du RN aux européennes de 2024.
Des liens avec l’extrême droite institutionnelle
Parmi les éléments que l’Humanité a pu consulter, ce qui apparaît encore, c’est la grande porosité avec, à la fois, d’autres mouvances de l’extrême droite radicale, comme l’Action française (AF) ou l’Œuvre française, mais également avec les courants plus institutionnels.
Parmi les Hussards en devenir, Louis T. est arrivé via les royalistes : dans ses quelques livres, les enquêteurs trouvent les œuvres de Maurras à côté de Mein Kampf. Lucas G. partage des grosses blagues nationalistes avec un très bon ami qui est à l’AF et qu’il retrouve, comme tout ce petit monde, dans les bars de Saint-Germain à Paris.
Affirmant faire le catéchisme avec un abbé – qui s’avère être intégriste –, Alexis L. dit espérer le soutien dans sa mésaventure d’une association qui partagerait ses idées, le Clan, animé notamment par le pétainiste Yvan Benedetti. Signe qu’il ratisse large, sur le téléphone du même personnage, les policiers ont découvert un SMS de Reconquête lui demandant de réadhérer fissa. Mais, dans ce panorama, celui qui emporte tous les suffrages, c’est Jean-Marie Le Pen : tous, ou presque, se sont retrouvés à l’hommage rendu en son honneur en début d’année.
Mais même ces grandes figures ne font jamais oublier l’essentiel chez les Hussards et les prospects. Quelques jours après les obsèques du fondateur du Front national, et un mois avant leur attaque du 16 février, ils relancent leurs activités. Avec le même mode d’organisation : un groupe privé sur les messageries cryptées pour les préparatifs et une promesse de chasse à l’homme à Strasbourg-Saint-Denis.
Le 1er février, les Hussards sont dépités, ils n’ont pas grand-chose à se mettre sous la dent. « Il n’y a que des groupes de nègres », déplore un des gars. Un autre dit avoir vu un groupe suspect dans un bar, avant qu’un autre ne vienne démentir : « Rien à signaler, juste un renoi. » Le chef ordonne : « Chopez-le ! »
La projection de Z n’est pas terminée, elle se poursuit à ciel ouvert. Entre la justice et l’extrême droite, la fin du film reste à écrire. Mais le danger est là : stylisé et esthétisé lors du défilé du C9M, laid et lâche dans les rues.
Face à l’extrême droite, ne rien lâcher !
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