Il y a toujours du grain à moudre avec la Cour des comptes. Soit elle fournit des rapports denses, sérieux, auxquels on trouve toujours un intérêt même si on n’en partage pas les options ; soit elle habille d’un vernis de prestige des travaux dont le manque de rigueur le dispute à l’idéologie.
Son rapport sur l’école primaire, présenté mardi 20 mai, appartient clairement à cette deuxième catégorie. Les postulats non étayés y succèdent aux affirmations appuyées sur des données obsolètes ou discutables pour réactiver, au nom de l’intérêt des élèves, nombre de vieilles lunes de la politique scolaire mise en œuvre depuis trente ans au moins… avec les résultats que l’on sait.
« Un système éducatif en situation d’échec »
Les constats posés en guise de diagnostic sont, hélas, bien connus. L’école française est inégalitaire sur le plan social, sur le plan territorial et sur celui du genre. Pire : les inégalités socioscolaires s’y aggravent au cours de la scolarité, alors que leur résorption devrait être un objectif majeur.
Notre école fait aussi triste figure dans les études comparatives internationales en mathématiques et en français, alors que selon la Cour les sommes que la nation lui consacre sont « en augmentation constante ces dix dernières années ». Ce que conteste la porte-parole de la FSU-Snuipp (premier syndicat du primaire), Guislaine David, en rappelant que « la part des dépenses d’éducation rapportée au PIB (produit intérieur brut) n’a au contraire cessé de décroître depuis les années 2000 ».
Aux yeux de la Cour des comptes, l’ensemble dessine « un système éducatif en situation d’échec ». La voici donc qui, dans la foulée d’Emmanuel Macron et de sa convention citoyenne sur l’organisation des rythmes scolaires, décrète – en s’appuyant sur un rapport de l’Académie de médecine vieux de quinze ans – que la semaine de cinq jours est le « modèle dominant » à suivre, et qu’il est urgent de réactiver la réforme de 2013. Laquelle avait fait l’objet d’un large rejet par les enseignants, les parents et les municipalités, conduisant à son abandon progressif.
Derrière la réforme de la gouvernance, le chantage aux moyens
Pour résoudre la crise d’attractivité du métier enseignant, les préconisations ne sont guère plus novatrices : après avoir décerné un satisfecit à la future réforme de la formation initiale, le rapport suggère que les affectations des lauréats du concours se fassent au niveau départemental, et non plus académique, afin d’éviter leur éloignement.
C’est maigre, « on risque de dépeupler les départements les moins attractifs », observe Guislaine David. Et quand on s’étonne que ce rapport, friand de comparaisons internationales, n’ait pas un mot sur les rémunérations des enseignants français, parmi les plus basses d’Europe, le président de la Cour, Pierre Moscovici, répond que « les enjeux budgétaires seraient considérables » s’il fallait les rehausser…
Enfin, « la gouvernance de l’école française doit être réformée », assène le rapport. C’est le prétexte pour ressortir la création d’un statut des directeurs d’école – refusé de manière si écrasante par ces derniers que même Jean-Michel Blanquer avait fini par y renoncer.
Mais la proposition la plus redoutable du rapport est sans doute de « systématiser les regroupements pédagogiques ou les regroupements d’écoles », que collectivités territoriales et citoyens rejettent absolument. Pour faire passer la pilule, des « conventions triennales » entre les collectivités et l’État seraient mises en place afin d’« objectiver la politique éducative du territoire ». En clair, c’est la perspective d’un chantage aux moyens, à l’image de ce que La Poste organise pour fermer des bureaux – ou de ce que l’État lui-même avait mis en place pour forcer la marche à la métropolisation.
Avant de partir, une dernière chose…
Contrairement à 90% des médias français aujourd’hui, l’Humanité ne dépend ni de grands groupes ni de milliardaires. Cela signifie que :
nous vous apportons des informations impartiales, sans compromis. Mais aussi que
nous n’avons pas les moyens financiers dont bénéficient les autres médias.
L’information indépendante et de qualité a un coût. Payez-le.Je veux en savoir plus