En France, le Conseil de défense et de sécurité nationale (CDSN) se réunit chaque semaine, sans que son ordre du jour ne s’ébruite ou ne fasse la une des journaux. Il en a été tout autrement mardi 20 mai, à l’occasion de l’examen par le conseil d’un rapport « choc » sur les Frères musulmans, commandé par le gouvernement à deux hauts fonctionnaires.
Selon l’Élysée, le document de 73 pages « établit très clairement le caractère antirépublicain et subversif » de l’organisation islamiste. Ses rédacteurs pointent un « entrisme par le bas » qui constitue une « menace pour la cohésion nationale ».
Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur ayant pesé de tout son poids pour que l’étude soit déclassifiée, parle même d’un risque de « submersion » devant un « un islamisme à bas bruit qui se répand en tentant d’infiltrer les associations sportives, culturelles, sociales ou autres », et dont « l’objectif ultime est de faire basculer toute la société française dans la charia ».
Une organisation très loin d’être majoritaire chez les musulmans français
Sauf que si le rapport souhaite documenter l’organisation grandissante des Frères musulmans, dont l’activité et le danger ne sont pas à mésestimer, il pointe aussi qu’ils sont très loin d’être majoritaires parmi les musulmans.
D’après l’enquête, 139 lieux de culte seraient liés aux fréristes en France, en plus de 68 lieux « considérés comme proches de la fédération ». Un chiffre qui doit à la fois alerter – tant leur projet appelle à placer la loi de Dieu devant celle de la République, en plus de consacrer l’inégalité entre les hommes et les femmes – tout en étant relativisé.
En effet, ces sites représentent « 7 % des 2 800 lieux de culte musulmans » dans le pays, et sont fréquentés en moyenne par « 91 000 fidèles le vendredi », sur 6 millions de musulmans dans l’Hexagone, dont 1,8 million se déclarant pratiquants.
Les auteurs soulignent également que 280 associations et 21 établissements scolaires seraient liés à l’organisation, et pointent le développement sur les réseaux d’une « prédication 2.0 ». Tel est le constat du rapport, qui a été vertement accueilli par le Conseil français du culte musulman (CFCM), selon lequel l’étude pèche par « absence de définitions claires des concepts (utilisés) », ce qui l’amène à entretenir une « confusion préjudiciable ».
« Il y a des appréciations totalement farfelues et absolument pas sourcées »
Le CFCM, qui rappelle que « la lutte contre l’extrémisme se réclamant de l’islam est au cœur de (ses) priorités », exprime ainsi sa « profonde inquiétude face aux possibles dérives et instrumentalisations des données rendues publiques ».
Le fond et la forme du rapport ont aussi été critiqués par Nicolas Cadène. L’ancien rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité signale « une méthodologie peu rigoureuse, des évidences, des amalgames et du simplisme ».
« Il y a des appréciations totalement farfelues et absolument pas sourcées, ce qui est très problématique pour un rapport officiel. Quant à l’entrisme affirmé dans différents secteurs, point majeur du rapport, il n’est pas documenté et s’oppose assez largement au rapport 2024 du ministère de l’Intérieur, qui, lui, était sourcé », commente-t-il. « À l’inverse de ce qu’on lit ou entend, rien n’est surprenant dans ce rapport, sauf à n’avoir jamais rien suivi à ce sujet », ajoute le fondateur de la Vigie de la laïcité.
Dès lors, les unes « chocs » du Figaro (qui affirme au sujet des fréristes que « telle une araignée, cette organisation a tissé sa toile dans tous les replis de la société » sans que cela ne soit démontré) et du Parisien apparaissent quelque peu comme le prolongement d’une opération de communication montée par Bruno Retailleau, qui n’est jamais le dernier à instrumentaliser la question de l’islam, faisant le lien entre l’immigration, les musulmans et l’insécurité.
La surenchère
« Nous sommes parfaitement en ligne sur le fait qu’il ne faut pas faire d’amalgame », a tenu à préciser l’Élysée. Si Emmanuel Macron, au sortir du Conseil de défense, a demandé à son gouvernement de formuler des propositions pour le mois de juin, le secrétaire général de Renaissance, Gabriel Attal, a appelé dès lundi soir à interdire le port du voile pour les mineurs de moins de 15 ans dans l’espace public.
Alors qu’une surenchère est à craindre, Jean-Luc Mélenchon a fustigé la façon de faire du gouvernement. « Ce genre de méthodes a déjà été appliqué dans le passé d’abord contre les protestants et les juifs », ce qui « conduit tout droit à un déchaînement d’inquisitions cruelles contre les personnes et désastreuses pour l’unité du pays ».
Reste à savoir ce que retiendra l’exécutif. Les auteurs du rapport notent que « prenant racine dans des quartiers à majorité musulmane généralement paupérisés, (les fréristes) répondent à des besoins de la population ». Cela amènera-t-il Emmanuel Macron à mesurer que les entraves faites à la justice sociale et à la promesse républicaine constituent un dangereux terreau ? Car la lutte contre l’islamisme doit être prise dans toutes ses dimensions, et sans instrumentalisation à même de nourrir toujours plus les peurs et les divisions.
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