Un attentat signé, revendiqué. « J’ai sali mon âme, mais putain, les Français, réveillez-vous ! » scande Christophe B. dans une vidéo enregistrée après l’assassinat d’Hichem Miraoui, de nationalité tunisienne, samedi 31 mai. Ce soir-là, l’homme âgé de 53 ans aurait également tiré sur d’autres voisins, des Kurdes de nationalité turque, dont un a été blessé par balle, à Puget-sur-Argens (Var).
Avant et après ce passage à l’acte, l’auteur publie plusieurs vidéos, sans équivoque quant à l’idéologie qui l’a poussé à tuer. « Ce soir on dit stop, stop aux islamiques (sic) de mes deux. Putain de Français de mes deux, réveillez-vous, sortez vos couilles, allez les chercher là où ils sont, appelle-t-il. Il n’y a pas d’allégeance à Al-Qaïda ou à quoi que ce soit. C’est l’allégeance au bleu-blanc-rouge. Voilà. » Citant explicitement le Rassemblement national dans ses vidéos, Christophe B. exhorte à deux reprises : « Votez bien la prochaine fois. »
Des vidéos sous forme de manifeste
L’individu n’a pas été frappé d’une folie meurtrière spontanée. L’arsenal (fusils à pompe, pistolet automatique, armes de poing) retrouvé dans sa voiture par le GIGN d’Orange (Vaucluse) lors de son interpellation dimanche matin témoigne de sa volonté de passer à l’acte. Tout comme sa page Facebook, sur laquelle il relaie des publications de Marine Le Pen, du maire RN de Fréjus David Rachline ou de l’ex-député Gilbert Collard, ainsi que des messages dans lesquels il revendique de « sortire (sic) les fusils et de tirer dans le tas ».
Ce sont donc bien les idées d’extrême droite qui ont tué Hassan Miraoui et visé une famille kurde. Les conséquences d’une libération de la haine raciste dans la société, alimentée par les sphères politiques et médiatiques. La violence fasciste se répand et s’organise. À l’image de Christophe B., une vingtaine d’individus projetant de commettre des attentats sur des personnes étrangères, musulmanes ou de gauche ont été jugés ces trois dernières années. Lors de celui du « projet Waffenkraft » et des quatre néonazis qui s’entraînaient pour « faire pire que le Bataclan », un responsable de la DGSI a indiqué que douze attentats d’extrême droite auraient été déjoués depuis 2017, avec une « uniformisation des modes d’action ».
Dans le livre les tueurs d’extrême droite (Éditions du Rocher), qui paraît ce mercredi 4 juin, le journaliste Paul Conge fait le lien entre une « campagne présidentielle marquée par la montée en puissance de Marine Le Pen et Éric Zemmour » galvanisant l’extrême droite en 2022, et les meurtres de cinq personnes, la même année, par des « tueurs radicalisés ».
L’ancien du GUD Loïk Le Priol, suspect du meurtre du rugbyman Federico Martin Aramburu ; le nostalgique du IIIe Reich Martial Lenoir, qui sera jugé en juin pour l’homicide d’un jeune d’origine hispano-marocaine en plein Paris ; le suprémaciste blanc William Malet, qui a exécuté trois Kurdes dans un centre de la rue d’Enghien. « Chacun de ces homicides porte incontestablement l’empreinte de l’idéologie politique de son auteur », indique Paul Conge.
La montée du RN comme catalyseur
À cette époque, déjà, le sociologue Erwan Lecœur alertait dans l’Humanité sur la corrélation entre la montée du vote d’extrême droite et celle des actes racistes : « Qu’ils soient membres de groupuscules ou loups solitaires, les plus radicaux se disent empêchés d’exprimer leurs idées, d’agir, y compris violemment, dans leur objectif de « protéger le peuple ». Si leur camp arrive au pouvoir, ils se sentiront désormais légitimes. »
Une « légitimité » éprouvée en 2024, entre la victoire du RN aux européennes et sa défaite au second tour des législatives, au travers d’une « forte hausse » des agressions verbales et physiques à caractère raciste et homophobe, comme l’a indiqué le ministère de l’Intérieur en juillet 2024.
Depuis, les affaires semblent se multiplier de manière exponentielle. Le 31 août dernier, Djamel Bendjaballah, 43 ans, a été tué par un membre du groupuscule fasciste Brigade française patriote qui le qualifiait de « bougnoule ». Il y a cinq semaines, le ressortissant Malien Aboubakar Cissé a été assassiné au sein même de la mosquée de La Grand-Combe (Gard).
Aucun de ces passages à l’acte n’a fait l’objet d’une saisine du parquet national antiterroriste (Pnat) – dans le cas du meurtre de Djamel Bendjaballah, le caractère raciste n’a, pour l’heure, même pas été retenu. Mais c’est bien le cas pour l’attentat commis samedi à Puget-sur-Argens.
Le Pnat a annoncé lundi avoir ouvert une enquête pour « assassinat en relation avec une entreprise terroriste, commis en raison de la race, de l’ethnie, la nation ou la religion, de tentative d’assassinat en relation avec une entreprise terroriste, commis en raison de la race, de l’ethnie, la nation ou la religion ».
« Le fait que le Pnat soit saisi est essentiel »
Auprès de l’Humanité, une source proche de l’enquête précise les raisons de cette saisine : « Contrairement aux dossiers de terrorisme djihadiste qu’on peut rattacher à des groupes terroristes existants, en matière d’ultradroite, il n’y a pas de groupe qui aurait cette qualification de ”terroriste” d’un point de vue judiciaire. Chaque dossier doit être étudié au cas par cas à l’aune de trois éléments : la gravité intrinsèque de l’acte, la personnalité de l’auteur et le trouble grave à l’ordre public par l’intimidation ou la terreur. » Les vidéos publiées par Christophe B. démontreraient clairement la volonté « de donner un sens à son acte, celui de troubler l’ordre public par la terreur en visant une communauté en raison de son origine », poursuit notre source.
« Le fait que le Pnat soit saisi est essentiel, souligne auprès de l’Humanité Me David Andic, avocat des deux Kurdes visés par le suspect. Les peines vont être alourdies, l’enquête va bénéficier des moyens exceptionnels de la DGSI, c’est une bonne nouvelle. On veut y voir le signe que la France prend, enfin, la mesure de ce qu’il s’est passé. »
Les vidéos en forme de manifeste ont aussi poussé l’ensemble des forces politiques représentées à l’Assemblée nationale à reconnaître la dimension idéologique de l’acte – ce qu’une partie de la droite et de son extrême avait refusé lors du meurtre d’Aboubakar Cissé.
Le RN, catalyseur de la haine
Les représentants du RN ont eu beau témoigner leur « soutien » à la famille d’Hichem Miraoui, ils restent les principaux catalyseurs politiques de la haine xénophobe et islamophobe qui l’a tué. Et leurs liens avec l’extrême droite violente et ouvertement raciste ne sont pas rompus. Ce lundi, le site d’information Les Jours a ainsi révélé que neuf députés lepénistes étaient membres d’un groupe Facebook où pullulaient les publications racistes : « Les Arabes dehors », « la France est dirigée par les juifs sionistes »…
« L’extrême droite tue, le climat politique raciste et islamophobe tue », a déclaré mardi, dans l’hémicycle, la députée LFI Farida Amrani, avant de fustiger le rôle de l’exécutif : « Votre gouvernement n’a qu’une seule mission : diviser, stigmatiser et armer l’extrême droite (…). Quand allez-vous cesser d’alimenter et de flatter les fantasmes de l’extrême droite qui mettent une cible dans le dos ? »
« Non, personne ici n’a tenu l’arme. Mais à force d’agiter la peur, de stigmatiser les musulmans, d’obséder sur l’immigration, certains préparent le terrain, et d’autres passent à l’acte, a abondé, quelques minutes plus tard, l’écologiste Steevy Gustave. Derrière les mots, il y a des morts. (…) Ça suffit. Assez de jouer avec le feu. Assez de ceux qui bâtissent leur carrière politique sur la peur et sur le dos de leurs compatriotes. » Le député mesure, devant l’attentat de Puget-sur-Argens et des précédents, que « ce ne sont plus des alertes, ce sont des morts ».
En réponse, le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau s’est dit « d’accord pour affirmer tout haut que ce crime n’est pas un fait divers. C’est beaucoup plus. Parce qu’il est désormais prouvé qu’il s’agit d’un crime raciste, sans doute antimusulman », « et peut-être terroriste ». Il reproche toutefois à ses opposants de « faire de la politique politicienne ». Le Vendéen refuse, de fait, de reconnaître l’influence ainsi que l’existence d’un climat de haine qui se diffuse dans le pays, et auquel il participe régulièrement.
« Le ministre est en roue libre concernant son expression publique, il est le premier à renvoyer chacun à son expression cultuelle d’origine », dénonce Stéphane Peu, chef de file des députés communistes à l’Assemblée. Sans une prise de conscience collective, y compris du gouvernement dans sa responsabilité, combien d’Hichem Miraoui vont-ils tomber sous la flambée raciste ?
Face à l’extrême droite, ne rien lâcher !
C’est pied à pied, argument contre argument qu’il faut combattre l’extrême droite. Et c’est ce que nous faisons chaque jour dans l’Humanité.
Face aux attaques incessantes des racistes et des porteurs de haine : soutenez-nous ! Ensemble, faisons entendre une autre voix dans ce débat public toujours plus nauséabond.Je veux en savoir plus.