La France s’apprête à faire pleuvoir dès cette année près de 1,5 milliard d’euros sur les industries les plus polluantes du pays pour les aider à capturer et enfouir leur dioxyde de carbone à l’étranger.
Ce « pognon de dingue » versé avec la bénédiction de Bruxelles au nom du climat bénéficie avant tout au stockage carbone (CCS). Cette technologie développée par l’industrie du pétrole et promue à grand renfort de lobbying est désormais considérée comme indispensable pour décarboner l’industrie européenne.
Et le temps presse en vue de capturer dès 2030 au moins 50 millions de tonnes CO2 émis par les sites émetteurs (cimenteries, aciéries, usines d’engrais), de les relier par pipeline et bateaux aux sites de stockages souterrains définitifs, situés des centaines de kilomètres plus loin, en mer ou sous terre.
Le fonds pour l’innovation européen capturé par les projets de CCS
« Le CCS, c’est un peu un cheval de Troie des énergies fossiles en matière d’écologie, résume Aurélie Brunstein, chargée de plaidoyer industrie lourde au sein du Réseau Action Climat. C’est une technologie incertaine, qui nous fait perdre du temps et beaucoup d’argent. »
Dans un rapport publié en 2024, l’Institut pour l’économie de l’énergie et l’analyse financière (IEEFA) chiffrait l’effort financier à 520 milliards d’euros d’ici à 2050, dont 140 milliards de subventions publiques.
Face au mur d’investissement nécessaire pour déployer le CCS en Europe, la Commission a d’abord mis la main au portefeuille via son fonds pour l’innovation. Doté de 6,4 milliards d’euros sur la période 2020-2022, il a été phagocyté par les projets de CCS des cimentiers européens.
Le stockage carbone doit leur permettre de capturer les émissions du clinker, le composant le plus émetteur de CO2 lors de la fabrication du ciment. « Le Fonds pour l’innovation est devenu un fonds pour les cimentiers », regrette Camille Maury, spécialiste des politiques de décarbonation chez WWF, fonds mondial pour la nature.
Un rapport publié en février 2025, qu’elle a corédigé, révèle que les projets de CCS des fabricants de ciment européens ont reçu 2,5 milliards d’euros de subventions sur la période, soit 40 % des financements disponibles. « Les projets de stockage carbone sont moins nombreux que les projets d’hydrogène, mais ils sont sensiblement plus chers. »
Renversement du principe « pollueur-payeur »
Le CCS n’est pourtant pas le seul moyen de décarboner la production de ciment. Le développement des ciments par mélange, reposant sur une réduction du taux de clinker dans les ciments, a été méthodiquement sapé.