Il aura fallu dix-sept ans. Près de deux décennies durant lesquelles Christian Cervantes, décédé en 2012 des suites d’un double cancer du pharynx et du plancher buccal, puis ses proches ont patiemment attendu que l’injustice dont ils ont été victimes soit reconnue. L’ancien verrier de Givors a tenté, depuis 2008, de faire reconnaître la responsabilité de son ancien employeur, OI Manufacturing, dans l’apparition de ses cancers.
La qualification de maladie professionnelle avait été reconnue par la Cour de cassation en mars 2017. Ce mardi 15 avril 2025, c’est une nouvelle victoire pour la famille de l’ancien ouvrier. La Cour d’appel de Lyon a reconnu la « faute inexcusable » du groupe spécialisé dans la fabrication d’emballages en verre, tenu pour responsable du second cancer de Christian Cervantes. Son ancien employeur a deux mois pour faire appel.
« C’est l’usine qui nous a permis de grandir »
Ce dernier a travaillé de 1963 à 2003 à la verrerie de Givors, dont le site était exploité par la société BSN Glasspack, avant que l’usine ne ferme l’année de son départ. Il y a réalisé de l’entretien, conduit des machines à verre et participé à la prospérité du site en tant que pilote de ligne de fabrication.
Il y a aussi vu grandir sa fille, Marlène. « Nous avons aussi les souvenirs des bons moments, se remémorait-elle auprès de France 3 Auvergne-Rhône-Alpes, vingt ans plus tard. C’est l’usine qui nous a permis de grandir, de manger. Il y a de la souffrance au travail mais il ne faut pas non plus oublier ce que l’usine a apporté dans nos familles. »
Comme le précise la plainte déposée en 2008 au tribunal de grande instance de Lyon, Christian Cervantes a été exposé à divers produits « cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques ». La liste n’en finit pas : silice, oxyde de sodium, magnésium, aluminium, cobalt, sélénium, à des colorants (oxyde de fer, chrome, manganèse), au titane, à l’étain, à des acides gras, des hydrocarbures aromatiques polycycliques, des brais de houille et des suies de combustion du charbon, de l’arsenic, des chromates, etc. Jamais son employeur ne l’a informé exactement de leur toxicité, tandis que c’est Mercédès Cervantes, la conjointe de Christian, qui a relevé le taux élevé de décès parmi les collègues de son mari.
« L’entreprise n’avait pas pour priorité la sécurité des salariés »
La détection de son premier cancer, en 2005, a été suivie de quatre interventions chirurgicales, chimiothérapies, radiothérapies. L’ancien verrier a dû tenir plusieurs années avec des effets secondaires, avant de perdre son autonomie pour se nourrir. « L’entreprise n’avait pas pour priorité la sécurité des salariés, regrettait Christian Cervantes dans les colonnes de l’Humanité, deux ans avant son décès. Le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (de la Sécu) a rendu un avis défavorable à ma demande parce que, selon lui, mon cancer ” est généralement une conséquence du tabagisme et/ou de la consommation d’alcool ” ! Ils ne m’ont même pas examiné. »
De son côté, OI Manufacturing n’a cessé d’entraver les initiatives de ses anciens employés. La famille Cervantes a subi, à elle seule, une dizaine d’audiences ces dernières années. L’entreprise a refusé, jusqu’au bout, de reconnaître son tort. Comme quand l’avocate du groupe lyonnais a essayé de persuader les juges de la Cour d’appel de Lyon, en octobre 2015, que le cancer du pharynx contracté par Christian Cervantes relevait de sa faute : « C’était un très gros fumeur et il consommait de l’alcool. »
Et ce, malgré le fait que l’avocat de la famille du défunt affirmait que son client à titre posthume n’avait fumé qu’entre ses 18 et 20 ans et ne buvait qu’occasionnellement. La même avocate n’avait aussi pas hésité à louer les protections dont les ouvriers auraient bénéficié. Les « mensonges » de trop pour Mercédès Cervantes, qui avait alors rétorqué, le visage marqué par des larmes de rage : « Ils devaient mettre des chiffons et des mouchoirs pour se protéger ! »
« Nous avons 157 décès et 58 malades »
Mercédès Cervantes, elle, connaissait les récits des malades de Givors. Elle accompagnait son mari lors des réunions hebdomadaires des anciens employés de la verrerie. Des discussions autour d’un café, organisées dans un local situé à proximité de l’enceinte de l’usine, où les ex-salariés prenaient des nouvelles de leurs vies respectives. Ces réunions restaient conviviales, malgré le spectre de la mort qui rôdait. « Sur notre liste de 225 verriers, nous avons 157 décès et 58 malades », constatait Laurent Gonon, coordinateur maladies professionnelles de l’association, en 2014.
Cinq ans plus tôt, Mercédès Cervantes sonnait l’alarme, voyant les collègues de Christian tomber un à un, à cause de maladies. « Elle leur a lancé : ” Mais vous allez tous vous regarder mourir ? ” », raconte leur fille Marlène, qui a assisté à chaque audience depuis le décès de son père. « Il y a eu une prise de conscience quand Christian est tombé malade, ça a entraîné tout le monde », se souvenait son camarade André Vizioli, qui a travaillé durant quarante à la verrerie, dans les colonnes de l’Humanité. Le voyage aura été plus long que prévu.
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