Éducation : Parcoursup, au bonheur de l’enseignement privé

Le rituel est maintenant bien en place : c’est à partir de ce lundi soir, 19 heures, que la plateforme Parcoursup commencera à envoyer aux quelque 980 000 candidates et candidats ses réponses à leurs vœux. Un moment clé dans la vie de tous ces jeunes, alors qu’ils se préparent à passer les épreuves terminales du bac. Lequel bac se voit ainsi relégué au second rang des priorités. Un changement qui n’a rien d’anecdotique : il traduit le bouleversement produit, dans l’accès à l’enseignement supérieur, par l’instauration de la plateforme en janvier 2018.

« Guide de survie à Parcoursup 2025 », « Que faire si tous mes vœux sont refusés », « Procédure accélérée, il va falloir réagir vite » et bien d’autres dans le même ton : les titres de la presse, en ce mois de mai, traduisent bien l’ambiance qui règne parmi les candidats. Le sentiment de jouer sinon sa vie, du moins son avenir, sans en avoir la maîtrise, quels que soient les efforts produits et les résultats obtenus.

Le sentiment de jouer son avenir sans en avoir la maîtrise

C’est le grand renversement opéré depuis 2018 : jusque-là, les jeunes choisissaient la filière de leur choix et s’y inscrivaient – sauf pour les filières traditionnellement sélectives (prépas…) et de rares autres, victimes de leurs succès et, surtout, du refus d’y créer des places en nombre suffisant.

Avec Parcoursup, c’est exactement l’inverse : les jeunes sont sommés de construire un projet et un parcours dès le lycée (et même dès la fin de la 3e). En même temps, ils sont parfaitement conscients qu’ils n’ont plus vraiment la main sur leur destination : ce sont désormais les établissements d’enseignement supérieur qui les choisissent, et non plus l’inverse. Il faut non seulement savoir, dès 17 ans, quel métier ou quels types de métiers on vise, mais également ne pas se tromper dans le choix des spécialités qui, au bac, sont requises pour ne pas vous fermer – même avec d’excellents résultats – les portes des formations demandées.

Le contrôle continu, générateur de stress

Tout cela dans un aveuglement à peu près complet, car les critères de choix des formations sont peu transparents. Certes, depuis 2024, l’ajout de « simulateurs » dans la procédure a permis d’y voir un peu plus clair sur les chances de succès (ou plutôt, sur les risques d’échec). Nouveauté 2025 : la plateforme permet aux lycéens d’estimer leurs chances d’être pris ou non, en fonction de leurs spécialités et de leur moyenne. Mais sans garantie. Surtout si on ne vient pas des « bons » lycées…

Le grand stress commence d’autant plus tôt que les notes peuvent être prises en compte dès l’année de première, que les deux spécialités conservées en terminale pèsent un tiers de la note finale au bac, et que 40 % de cette même note sont évalués tout au long de l’année, sous forme d’un contrôle continu où chaque note est susceptible de peser. Un message reçu vingt sur vingt par les élèves. Il n’est pas insensé de penser que cette situation puisse avoir quelque chose à voir avec la dégradation, constatée et confirmée, de l’état de santé mentale des 15-24 ans.

Il manque 100 000 places dans le supérieur public

Crises d’angoisse, phobie scolaire, dépression, voire pensées suicidaires avec des passages à l’acte : ces comportements ne sont plus rares. Selon l’enquête EnClass 2022 de Santé publique France, 14 % des collégiens et 15 % des lycéens présentent un risque important de dépression, et 24 % des lycéens ont eu des pensées suicidaires au cours des 12 derniers mois. Pédopsychiatre, responsable d’une consultation pour adolescents dans un hôpital d’Île-de-France, Camille* confirme et, si elle insiste sur l’aspect « multifactoriel » des pathologies présentées par les jeunes qu’elle reçoit, elle souligne aussi que la scolarité est « l’une des causes qui revient souvent ».

Et elle a bien observé le problème posé par la réforme : « Avec le contrôle continu, c’est compliqué. Il faut des notes, les contrôles doivent être faits… ça leur met une pression de dingue. » Une pression qui demeure après la prise en charge, mais qui joue déjà en amont, donc comme possible facteur déclenchant.

Les gouvernements ont beau jeu de déclarer que, chaque année, la plateforme s’améliore. Son essence demeure : habiller d’une pseudo-rationalité un système d’abord régi par la volonté de ne pas créer de places – il en manque 100 000 selon les organisations syndicales – en nombre suffisant dans l’enseignement supérieur. Avec comme seule échappatoire, pour ceux qui en ont les moyens, le supérieur privé, dont l’offre explose – pour le pire plus souvent que pour le meilleur – puisque Parcoursup lui ouvre une voie royale. Une simple coïncidence, sans doute.

* Le prénom a été modifié.