C’était loin d’être gagné d’avance, mais le milliardaire catholique identitaire Pierre-Édouard Stérin est peut-être en train de reconstruire, par son arrogance majuscule, une forme de barrage républicain. Mardi 20 mai, le grand ordonnateur du plan Périclès visant à financer la victoire des droites extrêmes en France a donc choisi, pour la troisième fois en quelques semaines, de snober purement et simplement la commission d’enquête sur l’organisation des élections en France, à l’Assemblée nationale.
De quoi pousser Thomas Cazenave, député macroniste et président de cette instance, à déclencher une procédure de signalement. « Après avoir constaté une nouvelle fois son absence ce matin, j’adresserai dès cette après-midi un courrier au procureur de la République de Paris pour constater le fait qu’il ne se soumet pas à l’obligation de venir se présenter devant la commission d’enquête », a-t-il indiqué solennellement devant la presse, en compagnie du rapporteur insoumis Antoine Léaument.
Stérin a préféré le tapis rouge déroulé par CNews aux questions des parlementaires
À l’heure même de sa convocation à l’Assemblée, Stérin s’est payé le luxe de s’afficher, en visio depuis son exil fiscal en Belgique, sur les écrans de CNews. Non sans fustiger notre journal – comme l’avait tenté aussi Arnaud Rérolle, son bras droit pour Périclès, devant la commission d’enquête –, le milliardaire reconnaît, sans même s’en rendre compte, toute la légitimité des parlementaires qui veulent l’entendre.
« J’ai décidé de consacrer 5 % de mon temps et 5 % de mon patrimoine à des sujets politiques afin de diffuser des idées de droite au sens large, s’agace-t-il. Résultat ? Ça les énerve… ça énerve l’Humanité qui a fait 25 articles sur moi, ça énerve toute cette caste ! »
Dans une longue tirade, après avoir, sous l’œil énamouré de Pascal Praud, énuméré les graves dangers qu’il courrait en France jusque dans l’enceinte du Palais Bourbon, Pierre-Édouard Stérin a ajouté des insultes à son énième camouflet, en prétendant qu’il n’y a « aucune raison donnée » par les parlementaires pour refuser de l’entendre en visioconférence.
« Ils ont décidé, afin de faire les clowns, de ne me recevoir que de façon physique… Ce que je comprends, c’est qu’ils ont envie de faire les marioles devant les caméras. Ce sont des politiques, ils ont besoin de n’importe quel prétexte pour que leurs noms soient mis en avant. Ils m’attendent aujourd’hui avec des dizaines de journalistes pour pouvoir faire les imbéciles devant des caméras… »
« Quand on porte un projet politique, on ne refuse pas de venir au cœur même de la vie politique française »
Pour les membres de cette commission, pour laquelle le plan Périclès, révélé par l’Humanité en juillet 2024, s’est résolument imposé ces dernières semaines grâce aux questions posées par son rapporteur, Antoine Léaument (LFI), rien ne tient dans l’attitude du milliardaire face à la représentation nationale. « Le principe, c’est la convocation physique devant une commission d’enquête, rappelle Thomas Cazenave. Nous n’avons accordé d’exception par visioconférence qu’à un universitaire malvoyant, avec de grandes difficultés de déplacement, ou à une autre qui réside en Angleterre avec un enfant en bas âge… Cette audition de Pierre-Édouard Stérin est très importante pour les travaux de notre commission et nous avons, depuis un mois et demi, répondu à toutes ses demandes pour la date, et aux inquiétudes pour sa sécurité. Rien ne justifie que M. Stérin méprise la représentation nationale, alors même qu’il dit lui-même en ce moment sur le plateau de CNews qu’il porte un projet politique. Quand on porte un projet politique, on ne refuse pas de venir au cœur même de la vie politique française pour échanger et débattre autour d’un projet qui soulève des interrogations. »
À ses côtés, Antoine Léaument dénonce le « mépris » de Pierre-Édouard Stérin. « Son projet s’accompagne d’objectifs politiques, idéologiques et électoraux, argumente-t-il. Il est en train d’être concrétisé dans le pays, avec des campagnes de décrédibilisation, mais aussi la volonté d’aider des candidats, de les former en vue des prochaines échéances électorales. C’est un projet qui vise à manipuler l’opinion des Français… Dès lors qu’un milliardaire veut utiliser son argent et qu’on peut se demander si ça ne sort pas des cadres légalement prévus, c’est normal que la représentation nationale s’en saisisse. Il faut que l’Assemblée nationale soit informée, et au-delà tous les citoyens. Je compte sur le fait que les gens puissent se faire leur propre opinion, et d’une certaine manière, ça me place à l’exact inverse de M. Stérin… »
Les mobilisations anti-Stérin s’accumulent
Derrière toute cette opération de diversion conduite par Pierre-Édouard Stérin, qui risque en cas de poursuite de se voir infliger une amende de 7 500 euros et surtout une peine pouvant aller jusqu’à deux ans de prison, plus un jour ne passe dans le pays sans que son nom, de mieux en mieux connu, ne provoque des protestations. Alors que le milliardaire a pu, pendant des années et jusqu’au dévoilement de Périclès, garnir en toute discrétion les caisses des défenseurs des causes réactionnaires qu’il défend, les temps changent.
Comme à Tours il y a deux semaines, ou à Lyon lundi 19 mai, et bientôt à Nantes ou à Rouen, les galas de charité sous le label de la Nuit du bien commun, qu’il a cofondée, s’accompagnent de manifestations organisées localement par les syndicats, les partis et les associations, ou parfois sur l’impulsion d’un nouveau collectif informel baptisé Section carrément anti-Stérin (Scas).
Dans une tribune parue dimanche dans le Monde, plusieurs maires, socialistes ou écologistes, de grandes villes ont dénoncé ensemble « une vision rétrograde de la société, qui s’installe insidieusement dans nos territoires ». Dans tout le pays, on ne compte plus les mobilisations citoyennes contre un projet d’école privée hors contrat, à l’instar de l’Académie Saint-Louis en Sologne, ou une représentation caricaturale de l’histoire de France « guidée par la providence », comme à Moulins (Allier)…
Pour le front républicain, les résultats restent à démontrer, sans doute, mais Pierre-Édouard Stérin a en tout cas réussi à s’imposer comme la nouvelle menace – cette fois bien réelle et concrète – des droites extrêmes, désormais au coude-à-coude avec Vincent Bolloré.
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