Un pas en avant, deux pas en arrière. L’audience qui s’est tenue ce mercredi 7 mai, au tribunal judiciaire de Paris, dans le cadre des poursuites intentées contre l’État par la famille de Nathalie Debaillie, tuée par son ex-conjoint en 2019, a accouché de positions assez contradictoires et même déroutantes, de la part des représentants du service public de la justice. Nicolas Debaillie, le frère de la victime, Grégory Nowak, son ex-mari, et ses enfants Florine et Romain réclamaient la condamnation de l’État pour l’inaction patente des services de police qui avaient tout bonnement ignoré les quatre alertes lancées par Nathalie Debaillie (3 mains courantes et 1 plainte), dans les quatre mois ayant suivi sa séparation avec Jérôme Tonneau.
Ce dernier avait fini par mettre ses très précises menaces de mort à exécution, enlevant son ex-compagne dans le sous-sol de la banque où elle travaillait, aidé par trois hommes de main, la ligotant, la transportant à son domicile, avant de la tuer en l’égorgeant dans une baignoire, avec un cutter. Des faits pour lesquels il a été condamné à 30 ans de réclusion, en juillet 2024.
L’État « regrette très vivement cette faute et espère qu’elle ne sera pas réitérée »
Ce mercredi, c’est le rôle de la police dans cette affaire qui était examiné, ainsi que le préjudice causé par son inaction. « L’Agent judiciaire de l’État (AJE) ne conteste pas la faute lourde commise par la police dans ce dossier, de la première main courante déposée par Nathalie Debaillie, en février 2019, jusqu’à son enlèvement le 27 mai 2019 », a indiqué l’avocate intervenant en défense de l’État. « L’AJE regrette très vivement cette faute et espère qu’elle ne sera pas réitérée. Parfois, le service public de la justice n’arrive pas à remplir sa mission, cela a été le cas ici », a-t-elle aussi reconnu. « Cette reconnaissance est une première et une victoire très importante », s’est félicitée Me Isabelle Steyer, l’avocate de la famille Debaillie, à la sortie de l’audience.
L’intervention du parquet, lors de cette même audience, a été bien plus décevante, voire incompréhensible. Si le procureur a convenu, à nom du ministère public, qu’il y avait bien eu « un dysfonctionnement sérieux et une faute lourde des acteurs du service public de la justice », il a soutenu que ce dysfonctionnement n’avait commencé « qu’à la première plainte », en bonne et due forme, déposée par la future victime, en mars 2019, et non à la première main courante, en février. « Car une main courante n’est pas un acte judiciaire, mais une simple déclaration, sans suite, un acte purement administratif », a-t-il justifié. Difficile à entendre pour la famille de Nathalie et notamment pour sa fille Florine, qui sait dans quelles conditions sa mère a été dissuadée de porter plainte, lors de ses quatre visites au commissariat de Lille…
Un agresseur « tellement déterminé » qu’une enquête ne l’aurait pas arrêté, soutient le parquet
Le représentant du parquet a poussé plus loin l’indécence en tentant d’expliquer, pour justifier une réparation a minima du dommage créé et une « perte de chance » de la victime évaluée à seulement « 50 % », qu’ « on ne sait pas ce qui se serait passé si une enquête avait été menée ». « Il y a des aléas, des incertitudes, s’est enfoncé le procureur. Ce qu’on a découvert grâce à l’enquête criminelle, on ne l’aurait pas forcément mis à jour en enquêtant sur des faits de harcèlement. Et puis, Jérôme Tonneau était quelqu’un de très déterminé. Une enquête ne l’aurait pas nécessairement détourné de son projet criminel. »
« Un raisonnement complètement à l’envers ! » a fustigé Me Steyer. « On ne peut pas dire : l’homme est dangereux, donc la victime prend un risque. Un médecin qui intervient sur un accident de la circulation, il agit encore plus vite si l’accident est grave et il fait le maximum pour sauver les personnes. La justice doit aussi réfléchir comme ça pour protéger les femmes victimes de violences ! » Jugeant « extrêmement décevante la position du parquet », le frère de Nathalie, Nicolas Debaillie, a eu l’impression d’entendre à nouveau ce policier qui lui avait dit, juste après la mort de sa sœur : « S’il voulait la tuer, on ne pouvait rien y faire ». « Pourtant, c’est faux ! La mise en place d’un bracelet anti-rapprochement, par exemple, aurait pu aider Nathalie. Ils avaient les moyens de la protéger. Je comprends que le procureur ne nous ait pas regardés quand il a prononcé ces mots… »
Pour le préjudice causé par la mort de Nathalie Debaillie, suite aux dysfonctionnements de l’État, Me Steyer a réclamé 200 000 euros pour chacun de ses enfants, 100 000 euros pour son frère, et la même somme pour son ex-mari. La décision sera rendue le 4 juin prochain.
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