Le premier ministre François Bayrou relance l’éternelle arlésienne qu’est l’élection des députés à la proportionnelle. Jusqu’ici, le seul essai d’une telle configuration date de 1986, sous le gouvernement de Laurent Fabius. Le chef de file du MoDem entame ainsi, mercredi 30 avril, une série de consultations des forces politiques sur un sujet qu’il défend lui-même depuis bientôt vingt ans – il proposait, lors de l’élection présidentielle de 2007, que la moitié des députés soient élus par un scrutin proportionnel. Il défend aujourd’hui un scrutin intégral, dans tous les départements, pour les élections législatives.
Malgré l’accélération autour de ce sujet synonyme de serpent de mer – Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron, dès 2017, ont tous promis de s’en emparer -, les désaccords restent nombreux au sein de l’Hémicycle. Le premier ministre recevra chacun des chefs de partis et des présidents de groupes parlementaires représentés à l’Assemblée nationale, suivant un ordre lié à leur importance numérique.
François Bayrou l’a déjà ménagé
La cheffe de file des députés du Rassemblement national (RN) – dont la condamnation à cinq années d’inéligibilité assortie d’une exécution provisoire ne la prive pas de son siège -, Marine Le Pen, qui forment le groupe le plus important à l’Assemblée, et le président du parti d’extrême droite, Jordan Bardella, seront ainsi reçus en premier à 10 heures.
Le RN réclame lui aussi la proportionnelle, mais avec une prime majoritaire pour la liste arrivée en tête. « La tripolarisation de la vie politique entraîne une absence de majorité », a soutenu, mardi 29 avril, Marine Le Pen, qui « n’imagine pas que le premier ministre (…) puisse reculer sur ce sujet ». Le parti d’extrême droite n’hésite pas à ressortir la carte de la motion de censure sur ce dossier.
Le RN dénonce depuis plusieurs semaines l’absence de perspectives législatives sur la proportionnelle, sur l’immigration ainsi que sur la feuille de route énergétique (programmation pluriannuelle de l’énergie, PPE). François Bayrou l’a, à cet égard, déjà ménagé lundi 28 avril, en reportant la date de publication d’un décret sur la PPE.
Suivra un entretien prévu jeudi 1er mai, à 17 heures, avec son propre camp politique. Ce dernier sera représenté par le président du groupe macroniste et du parti Renaissance, Gabriel Attal. Il sera accompagné par le député Pierre Cazeneuve, qui a mené une analyse comparative des différents modes de scrutin. Mais le premier ministre n’est pas assuré d’avoir cette fois le soutien des macronistes, traversés par moult « interrogations », prévient Pierre Cazeneuve.
En 2018, le président Emmanuel Macron avait souhaité l’instauration d’un système mixte avec 15 % des députés élus à la proportionnelle, puis la réforme avait été abandonnée. Or les députés Renaissance considèrent désormais que le mode de scrutin actuel est « le moins pire », car la « distorsion » entre le nombre de voix et le nombre de députés « n’existe plus » dans l’Assemblée actuelle, et ce changement n’est « pas forcément une priorité » pour les Français au vu du nouveau contexte international, a annoncé celui qui accompagnera l’ex-premier ministre à Matignon, lors d’un point presse.
Le non-cumul des mandats « enterré par la même occasion »
Gabriel Attal et Pierre Cazeneuve entendent jeudi élargir le débat à la question de « l’efficacité de l’action publique », en reparlant de la réduction du nombre de parlementaires et de la « simplification du millefeuille administratif ». Mais ils jugent « délétère » de proposer la proportionnelle en échange du cumul des mandats, soutenu avec force par François Bayrou. Or, c’est justement sur ce point que le premier ministre espère gagner les voix des Républicains (LR). Interrogés par l’Humanité sur le vote d’une telle réforme, plusieurs parlementaires du parti de droite ont expliqué qu’ils suivraient le gouvernement seulement si le non-cumul des mandats est « enterré par la même occasion ».
LR reste néanmoins officiellement contre la proportionnelle, comme n’a cessé de le rappeler Laurent Wauquiez. « La proportionnelle aboutira à ce qu’on va institutionnaliser le chaos politique qu’on connaît en ce moment », a tonné le patron de la droite dimanche, avant de critiquer mardi la « hiérarchie des priorités » du gouvernement dans un pays « qui est ruiné » et « où il y a une telle explosion de l’insécurité et de l’immigration », au vu des « menaces » sur le plan international.
Toujours au sein du camp présidentiel, le président du parti Horizons, Édouard Philippe, défend pour sa part le scrutin majoritaire, qui « impose un lien entre un député et les électeurs d’un territoire ». Il pourrait soutenir la proportionnelle « si était rétablie la possibilité de cumuler un mandat exécutif local et le mandat parlementaire ».
À gauche, les Écologistes (EELV) soutiennent une proportionnelle au niveau régional, la France insoumise (LFI) au niveau national. Le Parti communiste français (PCF) est lui aussi favorable à un tel changement. Le Parti socialiste (PS) est, quant à lui, divisé sur la question. L’ancien président François Hollande est pour, tandis que le premier secrétaire – en pleine campagne pour sa réélection à la tête du parti – Olivier Faure est contre à titre personnel. Le député PS Emmanuel Grégoire a rappelé mardi que « derrière ce mot un peu vague de proportionnelle, se cache une subtilité immense, immense, de déclinaisons pratiques ». Leurs consultations par Matignon devraient intervenir dans les prochains jours.
Les indépendants du groupe Liot sont « plutôt largement très défavorables » à réformer le mode de scrutin, selon son président Laurent Panifous. Ce qui est sûr, c’est que le gouvernement souhaite pouvoir légiférer à ce sujet. Et, si possible, « avant la fin de la session parlementaire si le débat est mûr », a déjà annoncé la porte-parole du gouvernement, Sophie Primas. Reste à savoir si la proportionnelle atterrira au sein de l’Hémicycle en tant que projet de loi. La mise en place d’un référendum – en activant l’article 11 de la Constitution – reste ainsi sur la table de François Bayrou.
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