Je tombe sur des notes que j’ai prises, à la lecture de l’interview de Stan Neumann, réalisateur de l’excellent documentaire d’Arte le Temps des ouvriers. Elle a été publiée dans l’Humanité-dimanche du 23 avril 2020. Je lis : « La grève c’est la solidarité alors que dans la manifestation, chacun est tout seul. Aujourd’hui, on est plutôt du côté de la manifestation et de sa solitude. Au fond, le collectif n’existe peut-être que là où il est organisé par la production ».
Voilà de quoi alimenter bien des réflexions syndicales, pour approfondir ou pour nuancer le propos. Allons au plus simple, la comparaison entre grèves et manifestations. Il y a du vrai dans la remarque avancée. Un regard sur les manifestations récentes le confirme. En dehors des « carrés de tête » qui précisent l’objet de la manifestation et la liste des organisations appelantes, il y a de moins en moins de banderoles collectives et de plus en plus de drapeaux ou de pancartes portés individuellement.
Les grèves ont besoin de « se manifester » sur la place publique, dans les rues. Les manifs ont besoin des grèves pour faire masse.
C’est plus pratique certes mais là n’est pas l’essentiel. Les banderoles portées collectivement le sont par des salarié.es en lutte soit dans leur entreprise soit dans une catégorie particulière : dans les manifestations récentes, les femmes de chambre des grands hôtels, ou les travailleurs sans papiers en lutte pour leur régularisation ont ainsi investi les manifestations pour se rendre visibles et rendre visible leur lutte. Cela suppose qu’ils et elles aient préparé collectivement leur participation, se soient donné rendez-vous dans la manifestation, bref se soient organisés pour rendre possible cette mise en visibilité.
Ils et elles prolongent ainsi des pratiques anciennes où l’on se donne rendez-vous au piquet de grève le matin afin à la fois d’élargir le nombre de grévistes et donner un nouvel élan à l’action. Les grévistes arrivent ensemble à la manif avec leurs mots d’ordre et leurs banderoles. La manif est alors vécue comme un prolongement de la grève, un moyen de l’entretenir, de la faire connaître, de lui assurer des solidarités, de la conduire au succès. La manif, surtout quand elle est interprofessionnelle, peut aussi être un moment où des salarié.es d’entreprises sans syndicats trouvent le moyen d’exprimer leur mécontentement et leurs attentes et de sortir précisément de leur isolement.
Elle peut être un déclencheur de luttes dans des entreprises. Il est alors important de détecter dans les cortèges la présence de ces salarié.es en attente d’un contact. Le nombre d’adhésions réalisées dans la manif est un révélateur de la « surface » acquise par les objectifs qu’elle porte. Manifestations et grèves ne s’opposent donc pas, mais s’entretiennent mutuellement.
Les grèves ont besoin de « se manifester » sur la place publique, dans les rues. Les manifs ont besoin des grèves pour faire masse. Elles sont à la fois le reflet des mobilisations à l’intérieur des entreprises et un moyen d’en impulser de nouvelles, voire de construire un mouvement social. Tout cela, bien sûr, à condition qu’il y ait des organisations, des militantes et militants pour le rendre possible. S’il est vrai, comme le constate Stan Neumann, que l’organisation de la production joue un rôle important dans la construction du collectif, il est non moins vrai que le syndicat peut contribuer à faire revenir des solidarités et du collectif là-même où l’organisation du travail individualise et met en concurrence. C’est là un défi majeur dont le 5 juin prochain sera l’une des démonstrations.
Aux côtés de celles et ceux qui luttent !
L’urgence sociale, c’est chaque jour la priorité de l’Humanité.
En exposant la violence patronale.
En montrant ce que vivent celles et ceux qui travaillent et ceux qui aspirent à le faire.
En donnant des clés de compréhension et des outils aux salarié.es pour se défendre contre les politiques ultralibérales qui dégradent leur qualité de vie.
Vous connaissez d’autres médias qui font ça ? Soutenez-nous !Je veux en savoir plus.