À cinquante-quatre ans, Caroline en est persuadée, elle a encore des atouts à faire valoir dans le monde du travail. « Nous sommes en concurrence avec les jeunes mais nous, nous avons notre vécu, notre expérience » argumente-t-elle tout sourire. En cette veille du 1er mai, elle fait partie des dizaines de quinquagénaires au chômage qui font la queue devant les diverses portes du couloir d’un immeuble parisien pour candidater auprès des entreprises présentes.
Après avoir arrêté de travailler pour s’occuper de ses enfants et suivre son mari ingénieur, Caroline est en formation d’assistante en ressources humaines, et espère bien décrocher au moins un rendez-vous chez Oréo (ex Areva). Ce « job dating » se déroule dans le cadre d’Atout Senior, un dispositif expérimental créer à l’initiative de France Travail Île-de-France et géré par l’organisme de formation Ifocop qui se donne pour objectif d’avoir accompagné un millier de plus de 50 ans vers l’emploi.
« Il y a un âgisme »
L’enjeu est de taille. Alors que l’âge légal (64 ans) et effectif (67 ans pour le « taux plein ») de la retraite ne cesse d’être reculé, le monde du travail continue de considérer les cinquantenaires et plus comme périmés. « Il y a un âgisme encore beaucoup trop présent et un taux d’employabilité trop faible, résume Benjamin Mathey, chef de projet pour Ifocop, rappelant que, les plus de cinquante ans restent deux fois plus longtemps au chômage que les autres ».
L’objectif d’Atout seniors est d’aider à surmonter ces a priori. Cela passe par quatre mois de formation dans des domaines du tertiaire (contrôleur de gestion, gestionnaire de paye…), suivis par quatre autres mois d’expérience professionnelle sur le terrain. « Le sujet, c’est vraiment de changer le regard des employeurs qui ne se tournent pas vers ces salariés, même quand ils peinent à recruter » explique Nadine Crinier, directrice régionale de France travail.
Il faut savoir se vendre
Les participants sont conscients des difficultés liées à leur âge. « Aujourd’hui on considère qu’un senior a beaucoup d’expérience et qu’il va donc coûter plus cher. Mais en même temps, si on ne demande pas assez, on ne nous prend pas au sérieux. C’est assez délicat », explique Stéphane. Après avoir travaillé 19 ans comme responsable administratif et financier dans une PME, le quinquagénaire en costume cravate est aussi lucide sur le décalage entre son savoir-faire et les attentes du marché de l’emploi. « Je connais beaucoup de choses. Mais je ne suis spécialiste de rien. Ça constitue un handicap dans une société où on cherche de plus en plus des experts », analyse-t-il. Il se forme désormais au contrôle de gestion, espérant compléter sa formation initiale de juriste avec un savoir plus technique. En attendant, il a refait son CV et travail sa présentation. « Je ne réalisais pas à quel point il y a une approche marketing pour se vendre et trouver du travail » soupire-t-il.
Pour remonter sur le ring, il faut aussi se remettre des ruptures professionnelles brutales auxquelles beaucoup ont été confrontées. Avec ses cheveux bouclés gris, qu’elle a résolument décidé d’assumer, Virginie est « tombée des nues » quand elle a été licenciée après trente-deux ans passés dans deux entreprises du secteur des transports. Elle a beau être pleine d’énergie, au point d’être partie en formation quatre mois seulement après son licenciement, le choc a été violent. « Le monde s’est écroulé » se souvient-elle.
Ça a été encore pire pour Corinne. Ses vingt années dans le secteur médical comme manipulatrice en radiologie, se sont terminées par un burn-out. « On travaillait à la chaîne, je n’y retrouvais plus mes valeurs » analyse-t-elle. Il lui faudra plusieurs années de reconstruction, partagée entre chômage, petits boulots (animatrice après avoir passé le Bafa, puis vendeuse dans un magasin) et une tentative trop douloureuse de retour dans le secteur médical, pour trouver la force d’entamer une formation.
Changement de regard sur les chômeurs
Passer par le dispositif permet de sortir de l’isolement et de l’autodénigrement, notamment avec le partage d’expérience. « Il y a beaucoup d’entraide et de bienveillance » souligne ainsi Caroline. Cette solidarité constitue un point d’appui essentiel face à un monde professionnel souvent maltraitant. Virginie garde par exemple un souvenir amer de la vingtaine d’entretiens qu’elle a effectuée avant de décrocher le contrat de quatre mois dans une start-up où elle s’épanouit. « Soit ils trouvaient que j’étais surqualifiée, soit ils ne comprenaient pas que je veuille évoluer à mon âge. Il faut se remettre en question, adapter son discours, se vendre, c’est difficile ».
Le pire pour elle a été l’absence totale de réponse, parfois même après avoir été jusqu’à l’entretien. « Je me suis aussi aperçu, raconte-t-elle, qu’il n’y avait pas forcément de respect pour les personnes qui candidatent. » Une expérience qui l’a aussi amené à changer de regard sur les chômeurs, dont elle a longtemps pensé comme beaucoup qu’ils ne faisaient aucun effort.
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