Ce matin, Noura s’est levée à l’aube pour avaler les 200 kilomètres d’autoroute qui séparent son domicile, situé à Nice, de la porte d’Aix, à Marseille. Parce que pour elle, il était important de témoigner son soutien aux proches d’Hichem, abattu devant son domicile à Puget-sur-Argens (Var) par un homme d’extrême droite, qui ont décidé d’organiser une marche blanche ce dimanche à Marseille. Noura s’est levée pour Hichem, mais elle l’aurait fait pour d’autres. « On est là pour Hichem, mais on serait là pour Thomas, Mamadou ou David, tient-elle utile de préciser. On ne sort pas seulement quand c’est l’un des nôtres qui est touché : on défend n’importe quelle victime du racisme ou de l’inhumanité ».
Une marche non partisane mais pas apolitique
La porte d’Aix, à Marseille, c’est le point de départ et d’arrivée de la plupart des manifs. On vient là pour s’opposer au recul de l’âge légal et à la casse du droit du travail, ou pour battre le pavé le 1er mai. Mais aujourd’hui, les porte-voix sont mis en sourdine et les banderoles remisées à la cave : les proches d’Hichem ont donné pour consigne d’éviter toute forme de récupération. Quelques élus ont fait le déplacement en guise de soutien, à l’image des députés LFI Sébastien Delogu ou Manuel Bompard, ainsi que des militants du PCF mais sans ostentation.
Cela dit, une marche non partisane ne signifie pas qu’elle est nécessairement apolitique : ici, on vibre au rythme des convulsions du monde et la colère se cristallise sur bien des sujets – la normalisation de l’extrême droite, la tragédie palestinienne, les discriminations anti musulmanes… « Mon père est venu sous contrat depuis sa Tunisie natale, en 1963, pour reconstruire la France, raconte Noura. Il a travaillé dans le bâtiment puis comme chauffeur livreur. Je me sens complètement française, mais je trouve que notre pays devrait se montrer reconnaissant pour ce que nos aînés ont apporté. »
Au lieu de ça, elle se dit excédée par le poids des discours stigmatisants. « Il ne se passe pas un jour sans qu’on entende un truc sur l’islam, reprend-elle. Un coup, c’est le terrorisme, ensuite une polémique sur la viande à la cantine ou le port du voile. On a l’impression de devoir montrer patte blanche en permanence ». « Pour certains en France, un Arabe en moins, ce n’est pas grave », lance Shana, en écho. La jeune fille de 19 ans écume, consternée, les réseaux sociaux depuis la mort d’Hichem, le 31 mai. « Il me semble que pour beaucoup de Français, ce qu’a vécu Hichem est presque normal », reprend-elle.
Le sentiment d’un deux poids, deux mesures
C’est de fait une impression assez généralisée parmi les quelque 400 personnes qui participent à la marche blanche ce dimanche. Tous espéraient une réaction d’une autre ampleur, aussi bien dans la société qu’au sommet de l’État, au vu de la gravité des faits. « On a le sentiment d’un « deux poids, deux mesures, assène Sabri, qui ne cache pas sa colère. Quand un drame frappe un musulman, on essaie de noyer le poisson. Alors que lorsque cela frappe d’autres communautés, cela devient une affaire d’État. Le gouvernement devrait se montrer beaucoup plus ferme dans sa réaction contre ce crime raciste. »
Un peu à l’écart, un septuagénaire coiffé d’un élégant béret regarde passer le cortège avec une bienveillance teintée de gravité. Mouloud faisait partie de ceux qui ont participé à la « marche des beurs » de 1983 et il a beaucoup marché depuis. « C’est important de se mobiliser, souligne-t-il. En 1993, Rachid Taha chantait « voilà, voilà que ça recommence » : on n’en a jamais fini avec le racisme. Je dirais que la différence avec aujourd’hui, c’est qu’à l’époque, les racistes avançaient masqués : à présent, ils se lâchent. »