Quel a été pour vous le moment le plus marquant de ces plus de deux mois de travail ?
Paul Vannier
Lfi Daint
La première audition, celles des collectifs de victimes. Elle nous plonge dans la gravité des enjeux : empêcher d’autres Bétharram, combattre les violences psychologiques, physiques, sexuelles, les viols, les tortures dont tant d’enfants ont été et sont encore les victimes.
Quel lien avez-vous établi avec ces collectifs ?
Leur rôle, leur message, est essentiel et complémentaire à nos travaux mais il est important de les laisser s’exprimer sans interférer. Des personnes nous signalent aussi des faits de violence. Dans ce cas, quand les éléments le permettent, nous faisons des signalements au procureur, au titre de l’article 40 du code de procédure pénale. Nous en sommes à une cinquantaine et ce chiffre croît chaque jour.
Lors de son audition, François Bayrou a lourdement ciblé vos « méthodes ». Comment travaillez-vous ?
Nous avons préparé cette audition comme toutes les autres : en nous appuyant sur des documents saisis lors de nos contrôles sur place ou sur pièces, des faits, des chronologies, mais aussi sur le contenu des auditions elles-mêmes : plusieurs milliers de pages épluchées, triées, classées, analysées, synthétisées. C’est un travail d’équipe de nos cabinets respectifs, avec l’aide de deux administrateurs de l’Assemblée, indispensable face à l’ampleur de la tâche.
C’est sur la base de ces documents sourcés, datés, que nous avons construits avec ma co-rapporteure Violette Spillebout la trame des questions que nous avons adressées au premier ministre. Le but était d’aller au fond du sujet : identifier les défaillances dans le contrôle et le traitement des violences. Nous n’avons pas entièrement atteint ce but puisque François Bayrou a choisi d’éluder et d’attaquer, plutôt que d’assumer cette épreuve de vérité et d’éclairer nos travaux.
Vous y attendiez-vous ?
Oui, même si j’espérais autre chose. Il est resté dans le registre de la dénégation et de l’outrance, qui est le sien depuis trois mois. Et cette audition confirme ses mensonges antérieurs puisqu’il a donné une version différente des réponses qu’il avait formulées précédemment, devant l’Assemblée nationale et devant les victimes de Bétharram.
Cette audition a fait apparaître des divergences entre Violette Spillebout et vous. Cela ne risque-t-il pas de compliquer la suite de vos travaux ?
Pas du tout ! Ce n’est pas un scoop qu’elle et moi avons des différences. Nous sommes membres de formations politiques très opposées. Mais ces différences sont complémentaires, elles enrichissent nos questionnements. Nous resterons opposés dans le débat politique ; et nous ne serons pas toujours convergents dans nos analyses, nos conclusions pour la commission. Toutefois, nous sommes unis par notre volonté d’assumer pleinement notre responsabilité.
Votre expérience précédente de la mission d’information sur le financement de l’enseignement privé, déjà avec un député Ensemble, Christopher Weissberg, vous a-t-elle servi ?
Beaucoup. D’abord sur la connaissance des établissements privés et leur relation avec l’État. Et cela m’a appris qu’il ne fallait pas avoir d’a priori quand on rencontre un autre parlementaire. Je ne connaissais pas Violette Spillebout, il nous fallait établir une relation de travail et si possible, de confiance. Cela s’est fait très rapidement.
Elle a beaucoup apporté à cette commission par les propositions qu’elle a faites, notamment autour de l’établissement hors contrat de Riaumont. Je ne me suis jamais opposé à ses propositions, elle ne s’est jamais opposée aux miennes et nous partagions ce but : apporter des solutions aux graves problèmes identifiés.
Certains affirment que cette commission fait partie d’un plan pour abattre l’enseignement privé…
La honte devrait les étouffer. Ceux qui tentent de remobiliser le rayon paralysant de la guerre scolaire sont coresponsables de la violence subie pendant des années par des enfants et de l’impunité de ses auteurs. Elle a été permise par l’absence de contrôle, elle-même née de la pression politique mise sur ceux qui questionnent le fonctionnement des écoles privées. Ces gens-là ont empêché que les deux millions d’élèves du privé soient protégés.
François Bayrou ne prend-il pas trop de place, au détriment des objectifs de la commission ?
Nous avons auditionné plus de 140 personnes, François Bayrou est l’une d’elles, il n’a ni plus ni moins d’importance à nos yeux. Sera-t-il toujours à Matignon quand nous rendrons notre rapport, s’il est constaté et vérifié qu’il a menti à plusieurs reprises devant la représentation nationale ? Ce n’est pas à notre commission que cette question est posée, mais à tous les groupes politiques de l’Assemblée nationale.
Comment concilier les émotions ressenties avec le recul nécessaire à votre tâche ?
Je ne peux pas ressortir indemne de rencontres avec des victimes qui ont décrit les sévices terribles dont elles ont été l’objet. Je ne peux pas ressortir indemne d’un contrôle comme celui de Riaumont, dans un contexte très tendu, en parcourant des lieux qui ont été le théâtre d’une violence inouïe, avec des enfants qui, devenus adultes, nous avaient décrit les châteaux de pierre qu’ils avaient été forcés de bâtir, la nuit, en short, dans le froid, et les affrontements organisés entre eux, avec des haches… Cette émotion est importante. Il ne faut pas l’éviter : il faut la garder avec soi, même si notre travail est de trouver des solutions rationnelles, efficaces, inscrites dans un cadre institutionnel.
Sur quoi ce travail va-t-il déboucher ?
Mon souhait, c’est celui d’une révolution dans la culture professionnelle de l’Éducation nationale, autour du recueil de la parole de l’enfant. Et d’une révolution dans les moyens de contrôle, dont elle doit se doter pour garantir que tous les élèves soient protégés de telles violences.
Nous n’y sommes pas encore, mais nous discutons avec Violette Spillebout de cette perspective et nous envisageons de travailler ensemble à une proposition de loi pour nous assurer qu’après la publication du rapport, il y ait un changement réel et le plus rapide possible. Parce que c’est urgent.
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