Parfois, le temps fait son œuvre. On oublie, on avance. Mais pas toujours. À la maternité de Guingamp (Côtes-d’Armor), voilà déjà deux ans qu’on n’y donne plus la vie et le territoire ne s’en est pas remis. En avril 2023, l’Agence régionale de santé (ARS) décidait de suspendre les accouchements, au grand dam des soignants, de la population et des élus du territoire. La raison : un nombre de gynécologues-obstétriciens « insuffisant pour garantir la sécurité des prises en charge ».
Pour protester, fin avril, et célébrer ce triste anniversaire, plusieurs dizaines de personnes sont venues enchaîner et cadenasser l’entrée de l’établissement. Une mobilisation plus massive doit suivre sur le modèle de celle qui a eu lieu l’année dernière où ils étaient plus de 1 200 à défiler.
Une plainte fictive contre l’ARS et l’État pour « mise en danger de la vie d’autrui » avait alors été déposée. « S’il y a une si forte mobilisation, c’est parce que notre population souffre déjà d’un fort sentiment d’injustice et d’inégalité », observe Annie Le Houérou, sénatrice PS et ex-maire de la ville.
Une réorganisation territoriale en approche
Depuis sa création, la maternité de Guingamp a pourtant longtemps été un modèle. En 2019, l’établissement avait même reçu le label IHAB, pour « Initiative hôpital ami des bébés », récompensant les établissements sachant allier « qualité des soins, sécurité médicale et bientraitance ». Une « reconnaissance de notre travail », s’enthousiasmait alors le personnel soignant dans les colonnes de Ouest-France.
« Toute l’équipe pensait qu’on allait nous laisser travailler, rapporte Virginie Le Thuaut, infirmière et co-secrétaire CGT de l’hôpital. Même s’il manquait parfois un ou deux professionnels, nous arrivions à maintenir des équipes stables. Les intérimaires étaient souvent des habitués qui revenaient régulièrement. Mais la volonté de ne maintenir qu’une ou deux maternités par département était trop forte. »
Par ses mots, la syndicaliste vise autant les différents ministres qui se sont succédé que les autorités de santé locales, coupables selon elle d’organiser une « réorganisation guidée par la recherche de rentabilité ». « Pour eux, cela passe par la concentration des services, abonde Christiane Caro, animatrice de l’atelier santé du PCF Bretagne. Même si Guingamp était à 458 accouchements par an en 2022, bien au-delà du seuil de 300 censé décider d’une fermeture, il y a autour deux établissements qui ont leurs faveurs : l’hôpital de Saint-Brieuc et la clinique privée de Plérin qui vient de recevoir 300 000 euros de l’ARS pour l’aider à recruter. » Une aide qui aurait pourtant été bien utile à la maternité publique guingampaise.
Cuba en renfort
Si Saint-Brieuc et Plérin pratiquent des accouchements en grand nombre (plus de 2 000 pour le premier, moins de 900 pour le second), plusieurs sources au sein de leurs équipes rapportent à l’Humanité certaines projections qui confirment le pressentiment de la communiste.
En effet, à terme, d’un commun accord entre toutes les parties locales, la maternité de Saint-Brieuc pourrait absorber l’ensemble des accouchements du territoire au risque d’en faire une « usine à bébés » – d’ailleurs des travaux d’agrandissement des salles d’accouchement seraient déjà en cours, nous dit-on. La clinique, elle, devrait pour sa part hériter, à sa demande, des actes chirurgicaux les plus rentables.
Contacté, l’ARS ne répond pas sur le fond, se contentant de préciser que les difficultés de la clinique « qui a dû gérer la démission de 7 pédiatres sur 13 » ne « remettent pas en cause son activité » et que, par ailleurs, ce sujet est « indépendant de son activité chirurgicale ». En langage bureaucratique : circulez…
Dans ces conditions, la maternité de Guingamp est-elle promise à une mort certaine ? Bien que l’ARS se retranche derrière les difficultés de recrutement, et donc l’impossibilité d’assurer sereinement la triple permanence des soins, certains soignants interrogés font part de leur scepticisme, arguant qu’un grand nombre de candidatures ne recevraient aucune réponse. L’ARS conteste, affirmant que « la direction de l’établissement » lui a « indiqué n’avoir reçu aucune candidature depuis plus de deux ans ». Contacté, l’hôpital dénonce des « rumeurs ».
D’autres se désolent du refus d’une autre option : le recours à des renforts de praticiens cubains. Une solution jugée « pas applicable car non conforme à la réglementation actuelle » par l’hôpital de Guingamp. « L’ambassadeur nous a donné son feu vert, mais ça bloque du côté du gouvernement, déplore Christiane Caro. Prendre cette voie, ce serait permettre une réouverture, donc freiner le processus de concentration. Et voir Cuba nous sauver, ce serait aussi acter l’échec français autour des maternités. » L’orgueil d’abord, l’urgence après.
Aux côtés de celles et ceux qui luttent !
L’urgence sociale, c’est chaque jour la priorité de l’Humanité.
En exposant la violence patronale.
En montrant ce que vivent celles et ceux qui travaillent et ceux qui aspirent à le faire.
En donnant des clés de compréhension et des outils aux salarié.es pour se défendre contre les politiques ultralibérales qui dégradent leur qualité de vie.
Vous connaissez d’autres médias qui font ça ? Soutenez-nous !Je veux en savoir plus.